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Titre: Opinion internationale – Auteurs: Déborah Journo et Emmanuelle Bismuth
Le boycott, nouvelle arme d’exclusion : Déborah Journo et Emmanuelle Bismuth (Actions Avocats) alertent sur les dérives d’une liberté d’expression, instrument d’exclusion
5 novembre 2025
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Lorsque Rachida Dati a condamné, à juste titre, la campagne de boycott visant Amir Haddad, elle a rappelé une évidence républicaine : la culture ne se juge pas à l’aune des conflits géopolitiques. Soutenir un artiste, ce n’est pas cautionner un gouvernement. Pourtant, cette confusion s’installe dangereusement dans nos sociétés.
Longtemps considéré comme une forme d’expression militante, le boycott est devenu, ces dernières années, un instrument d’exclusion et de discrimination, une arme de destruction massive tant les dégâts sur les personnes visées sont considérables. Ce qui se présentait comme un acte de liberté s’est mué en une arme symbolique de mise au ban. Et ce basculement n’est pas anodin : il menace aujourd’hui les fondements mêmes de nos libertés, notamment la liberté académique, artistique et intellectuelle, piliers de toute démocratie éclairée.
De la liberté d’expression à la coercition symbolique
Sous couvert de liberté d’expression, le boycott s’est imposé dans l’espace public comme un moyen de pression. L’arrêt Baldassi et autres c/ France rendu par la CEDH en 2020 a marqué un tournant : il a consacré la légitimité d’appels au boycott au nom de la liberté d’expression, rompant avec la jurisprudence française antérieure, plus protectrice contre les discriminations.
Mais l’appel au boycott académique sous couvert de liberté d’expression s’est mué en sanction collective. Derrière le discours militant se cache désormais une logique d’intimidation et de haine.
L’université, la culture et le sport pris en otage
Depuis 2023, le phénomène s’est étendu bien au-delà du commerce. Des chercheurs israéliens ont été exclus de conférences internationales, des artistes et musiciens ont vu leurs concerts annulés, non pour leurs propos, mais pour leur nationalité ou leur identité supposée.
L’affaire du professeur Shie Mannor, écarté du programme Hi! Paris en 2025, ou encore l’annulation du concert du Philharmonique de Munich dirigé par Shani Lahav, en sont des exemples inquiétants. Plus récemment, le chanteur Amir Haddad a fait l’objet d’une campagne de boycott au motif qu’il n’aurait pas « pris ses distances » avec la politique de son pays d’origine.
Ces cas ne relèvent plus de la critique, mais d’une discrimination fondée sur l’origine nationale en violation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’université, la culture et le sport, censés unir et élever, deviennent des champs de bataille idéologiques où on rase les murs lorsqu’on a un lien quelconque avec l’objet du boycott.
Une liberté qui dévore les autres
« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » cet adage repris à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rappelle que même la liberté d’expression est un droit essentiel, ce n’est pas droit absolu, et celui-ci trouve sa limite lorsqu’il porte atteinte aux libertés d’autrui — liberté d’entreprendre, liberté d’enseigner, liberté de créer.
En 2009 déjà, dans l’affaire Willem c. France, la CEDH rappelait que l’appel public à la discrimination économique n’était pas une opinion protégée. L’arrêt Baldassi a brouillé cette ligne, offrant un blanc-seing à ceux qui, au nom d’une cause, se livrent à une ségrégation symbolique.
Le boycott devient ainsi une morale punitive, une justice parallèle exercée par les réseaux sociaux, où l’opinion publique se substitue au droit. C’est une pente dangereuse, car une liberté qui se fait coercitive cesse d’être une liberté : elle devient une idéologie d’exclusion.
Redonner au droit son rôle protecteur
Il est temps de réaffirmer un cadre juridique clair : la liberté d’expression protège la parole, pas la contrainte. Le boycott n’est légitime que lorsqu’il reste symbolique, sans entraîner d’exclusion réelle ou de préjudice économique. Dès qu’il franchit ce seuil, il doit être encadré par le droit.
L’enjeu dépasse le débat israélo-palestinien ou toute autre cause. Il s’agit de savoir si la France restera la patrie des Lumières, où l’on débat et l’on confronte les idées, ou si elle deviendra une société où l’on censure et où l’on exclut.
La liberté d’expression ne peut pas servir à restreindre la liberté de créer, de penser ou d’enseigner. Il appartient aux pouvoirs législatifs et judiciaires, comme aux institutions culturelles et académiques, de rétablir l’équilibre et de sanctionner lorsque le boycott devient une arme d’exclusion.
Pour une liberté qui éclaire, pas qui exclut
La défense de la liberté d’expression sera toujours honorable, mais celle-ci perd sa noblesse lorsqu’elle devient un outil d’ostracisme. L’art, la science et le sport doivent rester des espaces de dialogue universel, affranchis des guerres idéologiques.
La liberté d’expression, oui. Mais pas au prix de notre culture, de notre recherche, ni de notre humanité.
actionsavocats@gmail.com